
Succès éclatant de Brigitte Bourguignon : un atout pour la loi grand âge ?
En remportant haut la main une législative partielle à haut risque, Brigitte Bourguignon sort renforcée de cette séquence.
Depuis l’automne dernier, une législative partielle pesait sur la tête de la ministre déléguée à l’autonomie comme une épée de Damoclès. Nommée en juillet au gouvernement, son suppléant à l’Assemblée nationale devait logiquement prendre sa place. Sauf que ce dernier, contre toute attente, a décidé de conserver ses mandats locaux plutôt que de venir siéger au Parlement pour une toute petite année. Un refus qui, du coup, a provoqué une élection législative partielle à laquelle Brigitte Bourguignon a immédiatement expliqué, qu’elle affronterait le Rasssemblement National sur ses terres.
Prévue en novembre puis repoussée sans cesse en raison de la pandémie, cette législative partielle dans la 6ème circonscription du Pas-de-Calais constituait évidemment un risque majeur pour celle qui détient ce siège de députée depuis 2012, au titre du PS de 2012 à 2017 puis au titre de LREM depuis 2017. Bien peu nombreux étaient ceux qui croyaient en ses chances dans un département de gauche où le RN a le vent en poupe. Logiquement, Brigitte Bourguignon devait faire les frais de la défiance manifestée contre le gouvernement.
Tous les augures en ont été pour leur frais : le 30 juin, la ministre de l’Autonomie vire largement en tête avec 35% des voix, dix points devant la candidate du RN (24%) et très loin devant tous les autres (19% pour la droite et 13% pour le PS). La victoire au second tour était donc déjà assurée : elle a parachevé son succès avec un 62% au second tour.
Un succès inattendu et rassérénant pour LREM. Le temps d’une élection, Brigitte Bourguignon est devenue le symbole d’un parti qui résiste, cachant habilement l’échec du parti présidentiel dans toutes les autres partielles du jour. Véran, Schiappa, Bergé se sont fendus d’un tweet de félicitations. Jusqu’à Emmanuel Macron qui a tenté de la joindre (vainement semble t-il) le dimanche du 1er tour pour la féliciter.
En cas d’échec, elle aurait logiquement pu quitter le Ministère. Réélue brillamment, elle revient renforcée. Comment, après avoir été le symbole d’une majorité présidentielle qui résiste, pourrait-on lui refuser désormais toute avancée sur le dossier auquel elle tient : la loi Grand Âge, devenue au fil des versions la loi de solidarité entre les générations.
Mais désormais, il va falloir singulièrement muscler un drôle de projet de loi…
Après avoir procrastiné durant des mois, le Ministère semble désormais croire à son projet de loi. Qui a, entre temps, changé de nom.
Loi ? Pas loi ? Il est, début juin, de plus en plus difficile de lire dans le marc de café. Et pourtant, contre toute attente, le projet de loi semble refaire surface… en changeant de nom.
Dans les couloirs des ministères, on ne parle plus de loi « Grand Âge et Autonomie » mais d’un projet de loi « Générations Solidaires ». L’explication est simple : la majorité présidentielle continue d’être tiraillée entre deux constats. Oui il est difficile de s’asseoir totalement sur une promesse faite en juin 2018 par le Président de la République lui-même. Mais oui il est compliqué au sortir de cette crise qui laisse exsangue la jeunesse de revenir au Parlement avec une loi uniquement ciblée sur le grand âge.
De là est née l’idée de construire un projet de loi qui parle à toutes les générations. Plus facile à dire qu’à faire. Car le projet initial, pensé et rédigé par la seule Direction Générale de la Cohésion Sociale, ressemble pour l’heure à un projet… de la DGCS : techno, sans vision, sans souffle, sans aucune mesure réellement disruptive. Quand on n’a pas d’argent, il serait bien d’avoir au moins des idées. Le projet qui était en cours début mai ne comportait ni l’un, ni l’autre.
Depuis, la victoire de Brigitte Bourguignon lui a donné un « bonus » auprès de l’Elysée et de Matignon. Et pour ceux qui n’auraient pas compris, dès le lendemain, Jean Castex était pris en photo en train de boire une bière sur la terrasse du café situé juste en bas du ministère de l’Autonomie… Les discussions ont donc repris en interne autour cette fois d’un projet « Générations Solidaires » qui dit vouloir « sortir de la crise sanitaire par le haut en réconciliant les générations ». Le document présentant le projet de loi – et que le Mensuel s’est procuré – surfe tout de même sur le sentiment anti-Ehpad du moment. Au point qu’il se fixe l’objectif de faire « à terme de l’Ehpad l’exception plutôt que la norme ». Peu importe si ladite « norme » conduit aujourd’hui 88% des plus de 85 ans à vivre… chez eux. En matière d’encadrement le projet évoque non pas un ratio minimum de personnels en Ehpad mais l’objectif plus flou du recrutement de 20.000 professionnels de soins.
Surtout, les documents qui circulent aujourd’hui au sein des administrations évoquent une simulation étonnante : à législation constante, le Ministère estime à 110.000 le nombre de places d’Ehpad à créer d’ici 2030, chiffre repris de la récente enquête publiée par la Drees. Mais avec le projet « Générations Solidaires », l’Etat n’évalue plus qu’à 35.000 le nombre de places d’Ehpad qu’il faudrait créer en 10 ans. Le pari est donc posé d’une alternative massive à l’Ehpad.
Dans ce projet, on parle également nouvelle organisation des services d’aide à domicile, adaptation des logements avec la création de #MaPrim’Adapt tirée du récent Rapport Broussy ou de la volonté, sur laquelle travaille actuellement Dominique Libault, d’un meilleur parcours pour la personne âgée. On y évoque aussi évidemment la question de la gouvernance en tentant de tracer un drôle de partage : aux Départements le domicile, aux ARS, les Ehpad. Un « Yalta » totalement contre-intuitif par rapport à la volonté actuelle de gommer justement les frontières entre établissement et domicile.
Le calendrier projeté par le Ministère est désormais serré : il souhaite passer en Conseil d’Etat début juillet, en Conseil des Ministres fin juillet et au Parlement dès cet automne. Ainsi soit-il…
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