
Retour sur l’affaire Longué-Jumelles Quand le privé lorgne sur le public…
Certes, cet épisode date dejà de quelques mois. Mais nous voulions revenir dessus tant il interroge sur l’avenir du secteur public et de ses relations avec le secteur privé. Une problématique qu’a par ailleurs traité Mediapart en novembre dernier.
Début novembre 2019, on apprenait qu’Agnès Buzyn avait finalement arbitré : le centre hospitalier public de Longué-Jumelles resterait dans le giron du secteur public alors qu’il était envisagé qu’il puisse être repris par le groupe privé commercial LNA.
Agnès Buzyn en avait convenu : l’hôpital de Longué-Jumelles est un hôpital « qui avait été extrêmement mal géré » et « qui avait des dettes énormes ». Mais avait-elle aussitôt ajouté : « mon projet n’est pas aujourd’hui de faire entrer des capitaux privés dans l’hôpital public ». End of the game…
Longué-Jumelles : un débat biaisé
C’est pourtant l’ARS Pays-de-la-Loire et le Conseil Départemental du Maine-et-Loire qui avaient quelques temps avant lancé un appel à candidature pour reprendre ce petit établissement public hospitalier du Saumurois, lourdement endetté. Deux candidats avaient déposé un dossier et étaient donc en lice pour assurer la gestion future de cet hôpital : une candidature provenant du CHU d’Angers en partenariat avec la Mutualité Française et des médecins libéraux du pôle de santé ; et une seconde offre proposée par le groupe LNA Santé, un opérateur sanitaire et social privé, côté en Bourse, et gestionnaire de plusieurs dizaines d’Ehpad et de SSR.
Or, face à ce duel, le président du Conseil Départemental, Christian Gillet, semble rapidement convaincu par l’offre de LNA à peu près autant qu’il paraît dubitatif sur celle du CHU. « Sur le fond, confiera-t-il à nos amis de Gerontonews-APM, l’offre publique n’est pas viable. C’est la faillite inéluctable. Je ne vois pas comment l’Etat va assurer le financement, sauf à mettre de l’argent dans un puits sans fond ».
Il est vrai que toutes les instances avaient eu le temps de crier au feu. La Cour Régionale des Comptes d’abord, qui avait publié en 2017 un Rapport qui évoquait une gestion financière et administrative catastrophique avec « une reconstruction mal gérée ayant entraîné des coûts engageant sa viabilité ». La Cour des Comptes ensuite en 2018, qui avait pointé du doigt « un niveau insoutenable » de dette « avec une durée de désendettement de 117 ans » et avait jugé l’établissement « sous survie artificielle » après de « lourdes carences de gestion ».
Ainsi, en arbitrant seule, Agnès Buzyn va mettre en colère le Département et l’ARS en porte-à-faux. Un Département en colère d’être traité comme quantité négligeable alors même que 40% des patients de cet hôpital-Ehpad sont à l’aide sociale et que le Département a émis une garantie d’emprunt de 6,6 millions d’euros. Et une ARS désarçonnée alors qu’elle avait en réalité une préférence, elle aussi, pour le dossier LNA.
Le président du Département comme le Maire de la commune étaient favorables au dossier LNA. L’ARS aussi, sans avoir eu le temps de le dire. Et pour cause, LNA apportait dans son escarcelle 4 millions d’euros d’investissements supplémentaires, le maintien de tous les emplois et des statuts et s’engageait à limiter l’impact des investissements sur les futurs prix de journée.
Il faut dire que le Maire de la commune, Frédéric Mortier, s’est révélé un tantinet maladroit : cet ancien secrétaire général de Debout La France, le mouvement de Dupont-Aignan, après avoir déclaré au Monde que « l’hôpital public avait montré toute son incompétence » et que Mme Buzyn avec cette décision avait « très peur de faire jurisprudence », avait cru bon d’expliquer cette orientation de la Ministre par cette conclusion un peu hâtive : « c’est une socialiste ». Du pain béni pour une Ministre qui cherchait alors à améliorer son image auprès des représentants de l’hôpital public qui la malmenaient par ailleurs.

Le centre hospitalier public de Longué-Jumelles
Valletoux vs. Evin
Dès la perspective de ce « duel » connu, F.O. et la CGT ont immédiatement organisé la riposte considérant que l’« éventuelle privatisation d’un établissement d’une telle taille constituerait un dangereux précédent » et réaffirmant « leur attachement à l’hôpital 100% public ». De son côté, Frédéric Valletoux, président de la FHF, s’était exprimé début octobre sur Europe 1, déclarant que transformer un hôpital local en maison de retraite privée constituerait « une ineptie complète. Moderniser l’hôpital, ce n’est pas le céder au privé » a t-il conclu.
C’est à ce moment là aussi que l’affaire va prendre une tournure aussi symbolique que cocasse puisque l’avocat de LNA sur ce sujet n’est autre que Claude Evin, ancien… président de la FHF et ancien directeur général d’ARS qu’on ne peut pas taxer d’être un pourfendeur du secteur public. Or, l’ancien ministre va immédiatement répondre sur Twitter à son successeur à la FHF dans ces termes :
« Cher @fredvalletoux, j’aime bcp l’hôpital public et je l’ai prouvé mais quand il a accumulé tellement d’erreurs et que personne ds la communauté publique n’a rien fait pour le sauver il faut en tirer les conséquences. »
Claude Evin regrette qu’on refuse de se poser la question d’une solution privée face à une « très grosse défaillance de l’hôpital public ». Surtout, précisera t-il, quand toutes les garanties étaient proposées aux personnels titulaires de la Fonction Publique Hospitalière pour que leur statut soit inchangé grâce à une gestion via un Groupement de Coopération Sanitaire (GCS) et à des mises à disposition.
Dans Le Monde daté du 8 octobre, Marc Bourquin, chargé de la stratégie à la Fédération Hospitalière de France et ancien… collaborateur de Claude Evin à l’ARS Ile-de-France, déclarait justement sur ce sujet des personnels : « si c’est un groupe privé qui reprend l’établissement, la reprise des fonctionnaires serait inédite et problématique parce qu’il y a une difficulté quasi-incontournable : un fonctionnaire ne peut pas travailler pour le privé ». Pas si simple évidemment puisque le paradoxe de cette polémique, c’est qu’il existe bien des cas en France où des acteurs privés gèrent des établissements publics, notamment sous forme de DSP, et où la question du statut des personnels a été résolue juridiquement. A l’inverse d’ailleurs, des établissements privés non lucratif ont aussi été repris par des structures hospitalières publiques.

L’Ehpad « Les Mont du soir » à Montbrison dans la Loire
Mediapart enquête
Du coup, cette affaire de Longué-Jumelles a remis en lumière la question de la « privatisation » d’Ehpad publics, sujet développé dans un long reportage de Mediapart le 12 novembre dernier. La journaliste, Caroline Coq-Chodorge, est allée faire le tour des popotes dans les régions pour ausculter l’état des Ehpad publics. Elle en a trouvé bon nombre dans un état vétuste et dans une situation financière problématique.
Mediapart, dans ce même reportage, cite – devinez qui ? – le groupe LNA ! Celui-là même à qui on a finalement refusé la reprise de l’hôpital local du Maine-et-Loire s’est vu confier en Seine-et-Marne la reprise, puis la reconstruction, de l’Ehpad de Meaux dépendant du GHEF, le Grand Hôpital de l’Est Francilien. Ici, le problème évoqué plus haut pour Longué-Jumelles a trouvé sa solution : les fonctionnaires restent employés par l’hôpital mais sont « mis à disposition » d’un groupement de coopération sanitaire, les contractuels, étant eux, transférés aux repreneurs. Mediapart a même trouvé un syndicaliste capable du propos iconoclaste suivant : « C’est un bon projet. (…). Il y a un accompagnement social, travaillé depuis plusieurs mois. Je dis aux agents que leurs conditions de travail seront meilleures dans le privé, tant elles sont déplorables sur l’hôpital ». L’autre syndicaliste, plus désabusé, estime, lui, qu’il ne faut pas « perdre de vue que nous vendons au privé lucratif. Mais nous avons choisi d’accompagner ce projet, puisque c’est, hélas, l’avenir. Partout, le public est en train de perdre du terrain dans le médico-social. Et nous avons besoin de l’argent de cette vente pour rénover et reconstruire en partie l’hôpital » estime t-il.
Mais comme le rachat par des groupes commerciaux continue de constituer un chiffon rouge pour nombre d’acteurs locaux, la « privatisation » prend une forme plus douce : la cession à des groupes mutualistes. Privés oui mais à but non lucratif…

L’Ehpad « Les jardins » à Riom dans le Puy de Dôme
Le gagnant : les mutuelles
A Riom par exemple dans le Puy-de-Dôme, un Ehpad hospitalier de 188 lits qui ne répondait plus du tout aux normes a été repris par la Mutualité française Puy-de-Dôme en coopération avec un bailleur social qui a la responsabilité de construire le nouvel Ehpad. Avec l’assurance donnée par Frédéric Raynaud, le directeur général de la Mutualité Puy-de-Dôme, que les prix de journée demeureront accessibles (67€) et que l’habilitation à l’aide sociale sera maintenue.
Mais Mediapart cite d’autres exemples. À Montbrison dans la Loire, c’est un Ehpad public de 209 lits, ancien et inadapté, qui devait être transféré au groupe mutualiste Eovi MCD. En Mayenne, à Cossé-le-Vivien, l’Ehpad, vétuste, est également susceptible d’être repris par un organisme mutualiste. Dans la Nièvre, le projet de reconstruction de l’Ehpad public de Saint-Pierre-le-Moûtier pourrait être confié avec l’accord de l’ARS et du Conseil Départemental à un petit groupe privé local, Âge Partenaires.
D’autres opérations similaires ont eu lieu plus discrètement. Voilà deux ans, dans le Val d’Oise, pour éviter la faillite de l’Ehpad public de Marly-la-Ville, l’ARS Ile-de-France, le Conseil Départemental et la mairie communiste se sont mis d’accord pour céder l’Ehpad Jacques Achard à la MGEN. Quelques mois plus tard, la même MGEN se voyait transférer la propriété de l’Ehpad de Louvres, distant de quelques kilomètres à peine. Une « privatisation » qui n’a soulevé aucune protestation, ni des élus, ni des syndicats. Et qui a, accessoirement, permis de sauver l’Ehpad de Marly d’une mort annoncée.
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