
Psychodrame à la CNSA
Rarement un conseil de la CNSA aura atteint un tel niveau de dramaturgie. Il faut dire que cette séance, programmée le vendredi 19 mars à 14h00, concluait une semaine placée sous haute tension. Récit.
Vendredi 19 mars 14h00. Le Conseil de la CNSA commence. Énormément de monde connecté. Tous les responsables sont là alors que souvent ils y envoient leurs suppléants ou collaborateurs. Pour comprendre cet engouement, il faut revenir en arrière.
Il faut d’abord, pour comprendre de quoi on parle ici, revenir à l’Article 33 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 voté en décembre dernier. Cet article prévoit que le Conseil de la CNSA vote, avant le 1er mars 2021, un avis et des recommandations sur les pistes de financement de la politique de soutien à l’autonomie. Un Rapport censé ensuite être adressé aux Parlementaires pour les guider dans l’élaboration des futurs PLFSS.
Une méthode obscure
Sauf que… ce document, dont on comprend donc toute l’importance puisque c’est la première fois que le Conseil de la CNSA avait, depuis la création de la 5ème branche en 2020, à le transmettre aux députés et sénateurs, n’a été adressé aux fédérations que le lundi d’avant, soit à J-4 du Conseil censé l’entériner. 95 pages à lire et analyser en 4 jours : admettons que le défi était osé. Au point que nombre de fédérations ont fait savoir qu’elles étaient un peu agacées par cette précipitation.
Que les fédérations, syndicats et associations soient saisies un peu au dernier moment, au fond, elles en ont un peu l’habitude. . Ce qui est plus problématique en revanche, c’est que cet immense travail de rédaction – 95 pages tout de même ! – s’est fait dans une certaine opacité. Au point que l’Etat a découvert ce Rapport le lundi en même temps que toutes les fédérations. Et que la directrice générale de la CNSA elle-même, Virginie Magnant, s’est vue transmettre ce document en même temps que tous les autres membres du Conseil de la CNSA sans avoir le moins du monde participé à son élaboration. Logique dans l’esprit de Marie-Anne Montchamp, la présidente de la CNSA, qui a théorisé (cf. encadré) que l’Etat n’était pas une « partie prenante ».
Mais, même les « parties prenantes » n’ont été que partiellement impliquées puisque le texte n’a circulé que dans le cadre d’un « Conseil » restreint. Bizarrerie démocratique, la présidente de la CNSA a en effet constitué il y a plusieurs mois un petit groupe qui se réunit régulièrement autour d’elle. Un groupe dont elle a choisi arbitrairement les membres parmi les membres du Conseil instituant ainsi une sorte de « Bureau du Conseil » qui, en droit, n’a pourtant aucune existence. Non qu’une telle instance n’ait pas son utilité : mais elle n’a pour l’heure aucune légitimité. Or, ces quelques membres, une dizaine, ont été les seuls à être consultés en amont et à participer aux allers-retours rédactionnels.
A partir de mardi, l’ensemble du microcosme est donc entré en ébullition.
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’Autonomie, et Olivier Dussopt, ministre des comptes publics, sont évidemment tombés de haut en découvrant un document qui prévoit une trajectoire budgétaire de 20 milliards d’euros de crédits nouveaux d’ici 2030. Car au-delà de l’absence de concertation et du peu de délais pour réagir, l’autre point de crispation s’est révélé être cette projection de 20 milliards d’euros sur 10 ans.
Un calcul sans démonstration
Du côté du Gouvernement, pas question évidemment d’accepter un document qui évoque à la louche une somme aussi conséquente. Mais surtout la composition de ces « 20 milliards » n’est pas détaillée dans le document laissant flotter un flou artistique sur la répartition de ces dépenses nouvelles entre handicap et grand âge.
Interrogé par le Mensuel, un représentant des associations de personnes handicapées nous a bien assuré que la répartition serait évidemment opérée sur la base d’un 50/50 : 10 milliards pour les personnes âgées, 10 milliards pour le secteur du handicap. Un autre représentant d’une fédération côté grand âge soutenait, lui, que la répartition devait être de 75/25 en faveur des personnes âgées puisque la révolution démographique était à prendre en compte ainsi que la sous-dotation chronique du secteur « PA » par rapport au secteur « PH ». On voit donc que sous la façade d’une unanimité consistant à demander 20 milliards, mieux valait ne pas trop aller dans les détails sous peine de mettre en exergue des divergences de fond entre les deux secteurs.
La veille du Conseil, la tension monte d’un cran. En fin d’après-midi le jeudi 18 mars, les fédérations se réunissent dans le cadre de la structure informelle qu’est le « GR 31 ». Ce groupe au nom de chemin de randonnée va rapidement se transformer en chemin de croix… où vont s’affronter les pro et anti-Rapport.
Les « pro » largement majoritaires (ADPA, FHF, UNAPEI…) veulent maintenir un front syndical uni, nécessaire pour que le rapport demandant « 20 milliards » soit largement adopté. Mais rapidement, la fissure est là. Le Synerpa indique que cette précipitation ne lui dit rien qui vaille : l’organisation du secteur privé souhaite plus de temps pour statuer. Puis c’est au tour de la Fehap de s’étonner des conditions de production de ce Rapport et de poindre vers l’abstention. Le lendemain matin, c’est au tour de la Mutualité de faire un pas de côté. Mais ces quelques défections n’entament pas la confiance de ceux qui pensent que le rapport recevra de toute façon l’approbation d’une large majorité du Conseil.
Un vote peu légitime ?
Car il faut à ce stade rappeler les rapports de force. Sur 70 membres du Conseil, 45 % des sièges sont occupés par les représentants de l’Etat, un Etat qui a indiqué qu’il ne « prendrait pas part au vote ». Dans ces conditions, le scrutin ne concernera que les 55 % restants et sur cette quarantaine de sièges composés essentiellement d’organisations syndicales et professionnelles, la majorité en faveur du rapport semble largement acquise. Sauf qu’au dernier moment, le vendredi vers midi, l’Etat va changer de stratégie en décidant de s’abstenir. L’objectif ? Qu’en additionnant les voix de l’Etat et des organisations mécontentes, les « abstentions » puissent obtenir une majorité absolue du Conseil afin de montrer que sur le fond comme sur la forme le texte proposé par Marie-Anne Montchamp ne provoque pas l’enthousiasme.
C’est finalement ce qui va se passer puisque le rapport recueillera au final 47 abstentions, 22 voix pour et 1 contre. Le texte va donc être adopté mais dans un climat de grande tension entre l’Etat et la présidente de la CNSA.
Quand elle naît en 2005, la CNSA ressemble plus à une « agence » qu’à une « caisse ». Dès lors, plutôt que de la doter d’un Conseil type « Sécu » avec gestion par les partenaires sociaux, le choix, original et salutaire, a été fait d’un Conseil composé de toutes les grandes fédérations du champ du handicap et du grand âge. Longtemps, ce mode de gouvernance va être mis au crédit de la CNSA car innovant et ouvert.
Mais, aujourd’hui, ce fonctionnement interroge pour deux raisons. D’abord parce que la CNSA est devenue depuis la « caisse » d’une 5ème branche pesant à terme plus de 40 milliards d’euros. Ce qui mériterait de s’interroger sur la nécessité de revoir un peu sa gouvernance.
La présidence version Montchamp
Ensuite parce que l’équilibre trouvé depuis 2005 est en train d’évoluer en raison de l’empreinte très particulière qu’est en train de donner Marie-Anne Montchamp à la fonction de présidente. Car disons-le tout net : alors que jusqu’ici la présidente de la CNSA jouait plutôt un rôle de président tendance « IVème république », l’ancienne ministre de Jacques Chirac est venue remettre ce modèle en cause.
Le peuple contre les technos ?
Elle l’a réaffirmé lors du Conseil du 19 mars : elle considère désormais qu’elle est la « voix du peuple », la représentante des « parties prenantes », c’est-à-dire de tous les acteurs sauf l’Etat. Ce qui l’autorise à quelques diatribes régulières contre les « technocrates », entendez la DGCS ou la direction générale de la CNSA.
Pourtant, si la présidente de la CNSA est effectivement « élue » par les membres du Conseil, elle procède en réalité du choix du Président de la République. Et si « MAM » a été choisie en 2017 par l’exécutif, c’est bien parce que cette ancienne « LR » s’est ralliée à Emmanuel Macron deux mois avant son élection. Cela n’enlève rien à sa légitimité mais pose question quant à son statut de porte-parole du secteur.
Mais la séance du 19 mars a montré les limites d’un tel système. Car on ne sait pas comment une présidente de la CNSA pourra durablement s’affronter à l’Etat et à la direction générale de l’institution sans que cela ne créé à un moment tension et inefficacité ?
Retour aux actualités