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15 juin 2021

L’Ehpad du futur… commence aujourd’hui

Le 3 juin, le Think Tank Matières Grises rendait public un travail commencé six mois avant et basé sur les contributions de 198 professionnels et 105 auditions d’experts et de professionnels divers et variés. Au final, un document qui explore les pistes d’avenir et qui est désormais posé sur la table des pouvoirs publics.

Créé au printemps 2018 par Luc Broussy et Jérôme Guedj, financé par dix-huit opérateurs associatifs et commerciaux, le Think Tank Matières Grises enchaîne depuis les publications sous forme de rapports (Les personnes âgées en 2030 ; éviter l’hôpital ; le numérique) ou de notes plus courtes, tous ces documents étant en accès libre sur www.matieres-grises.fr

Cette fois, Matières Grises avait décidé de se pencher sur l’Ehpad du futur alors même que le gouvernement tardait à mettre en œuvre le « laboratoire de l’Ehpad de demain » qu’Agnès Buzyn s’était engagée à créer fin 2019. Pour ce faire, une centaine de personnes ont été auditionnées lors d’une vingtaine de zooms animés par Anna Kuhn-Lafont, maître d’oeuvre de cette mission. Parmi elles, des architectes (Pascale Richter, Didier Salon, Fany Cérèse, Kevin Charras, Didier Cornilliat…), des fédés (Fhf, Fehap, Unccas, Synerpa, Fnadepa, Fnaqpa…), des institutions (Cnsa, comité d’éthique, des conseils départementaux, des ARS…) etc…

Au final, la conviction que l’Ehpad vit un tournant historique comme il en existe tous les 25 ans. En 1975, la maison de retraite se fond dans un secteur « médico-social » qui se distingue du sanitaire ; en 1999, la maison de retraite devient l’Ehpad avec ses nouvelles règles architecturales et tarifaires. Il est temps désormais d’inventer l’Ehpad du futur (les auteurs posent la question du nom sans la résoudre), celui qui à l’horizon 2030 épousera trois évolutions majeures :

Celle d’un établissement où le résident devient un habitant, où le désir de la personne l’emporte sur les contraintes de l’institution (choix des rythmes, des menus, des visites…).

Celle d’un établissement où la « chambre » devient « logement » ce qui implique, outre les innovations techniques portant sur la lumière, les matières, les sols, l’aménagement des espaces, que la surface tende vers 26-30m2.

Celle enfin d’un Ehpad totalement ouvert vers l’extérieur, sorte de plateforme de services gérant une file active de bénéficiaires (que ceux-ci soient hébergés de manière permanente ou temporaire, qu’ils soient hébergés dans l’établissement ou chez eux dans le voisinage de l’Ehpad)

Télécharger le rapport
Ehpad du futur

Ce document a donné lieu le 3 juin à un Webinar auquel ont assisté près de 400 directeurs, montrant ainsi l’engouement autour de ces questions. Lors de ce Webinar, Sophie Boissard, directrice générale de Korian, Laure de la Bretèche, présidente d’Arpavie, Sylvain Rabuel, président de DomusVi sont venus illustrer tel ou tel aspect de ce Rapport. Mais on a aussi entendu l’influent Jean-Marc Borello, président du groupe SOS et proche d’Emmanuel Macron fustiger les expérimentations qui ne se généralisent jamais et vanter l’Ehpad plateforme qu’il appelle de ses vœux dès maintenant.

Désormais la balle est dans le camp de la CNSA qui a bien compris l’engouement autour de ce sujet. Remis sans cesse depuis février dernier, le lancement officiel du Laboratoire des Solutions de demain devrait désormais intervenir rapidement puisqu’on vient d’apprendre que son responsable venait d’être choisi : il s’agit de l’excellent Gauthier Caron-Thibaut, ancien du Cabinet Delaunay et ancien chargé de mission à la direction de l’Action Sociale de la CNAV.


« L’Ehpad est mort, vive le nouvel Ehpad ! »

© Nathanael Mergui

Entretien avec Jérôme Guedj, co-fondateur du Think Tank Matières Grises et co-auteur du rapport « L’Ehpad du futur commence aujourd’hui ».

Le MMR : Un nouveau rapport sur le grand âge… Ce n’est pas l’embouteillage côté propositions ?

Jérôme Guedj : Multiplier les rapports ne peut faire que du bien, à condition évidemment de passer à l’acte ! (rires) Et notre secteur en a en réalité besoin, puisque les enjeux de la révolution de la longévité nécessitent un big bang global : des politiques publiques, des moyens, mais aussi des priorités et décisions des acteurs eux-mêmes. Chacun doit balayer devant sa porte. C’est plutôt une bonne nouvelle d’avoir dans le débat public, à quelques jours d’intervalle, des propositions fortes sur les deux sujets majeurs de préoccupations de nos concitoyens, confirmés, sans surprise, par la récente consultation gouvernementale : la volonté irrépressible de vieillir chez soi, et donc les enjeux d’habitat, de ville, de mobilité, avec « Nous vieillirons ensemble », le rapport de Luc Broussy. Et le nécessaire changement de modèle de l’Ehpad, au cœur du rapport de Matières Grises.

Le MMR : Pourquoi avoir choisi ce thème, maintenant, alors que les Ehpad se remettent à peine de la crise du Covid ?

J.G. : D’abord car c’est la mission même de Matières Grises et des opérateurs qui participent à notre Think Tank depuis 3 ans : irriguer le débat public sur les nécessaires évolutions que doivent subir les Ehpad avec une vraie liberté de ton et de propositions. Mais nous avons voulu aussi tordre le cou à une petite musique simpliste, l’Ehpad-bashing, qui fredonne que les Ehpad sont intrinsèquement un problème, alors que nous sommes convaincus qu’ils offrent une large part des solutions. 350.000 professionnels y travaillent et 70% des plus de 75 ans vivent à moins de 5km de l’un des 7.500 Ehpad de France : c’est un formidable maillage territorial. Pour cela il faut remettre en cause le modèle. C’est possible puisqu’on l’a déjà fait il y a 20 ans avec le cahier des charges d’avril 1999 qui a engagé une révolution de la qualité dans les établissements.

Non, dans les maisons de retraite, ce n’était pas mieux avant. Oui, il faut donner la priorité au soutien à domicile, mais on aura toujours besoin d’Ehpad. Au moment où des moyens sont dégagés (2,1 Mds dans le plan de relance pour l’investissement immobilier, les rénovations et l’équipement numérique), construisons le nouveau cahier des charges qui guidera l’affectation de ces moyens et orientera cette mutation.

Le MMR : Comme premier axe de ce changement, vous parlez de virage domiciliaire dans les Ehpad. N’est-ce pas contre-intuitif ?

J.G. : Au contraire, l’aspiration à « vieillir chez soi » s’impose partout, au-delà du domicile historique de la personne âgée. Qu’elle opte pour un habitat regroupé (RSS, résidence autonomie, habitat inclusif…) ou au moment du choix, plus ou moins subi, de l’Ehpad, la personne âgée a besoin d’y retrouver les attributs du chez soi. Et le premier d’entre eux, c’est d’abord l’autonomie, la liberté, le choix, la maitrise de son rythme. De son menu, de l’endroit où elle déjeune, de l’ameublement de ce qui ne doit plus être simplement une chambre mais un logement. Entre le tropisme hospitalier qui subsiste et la tentation hôtelière, tous deux inadaptés pour un lieu où l’on vit durablement (la durée médiane de séjour est de 2 ans et 4 mois, et un quart des résidents vivent plus de 4 ans), l’Ehpad est un lieu qui doit revendiquer sa singularité, pour que l’organisation s’adapte au résident (et non l’inverse), que la liberté prime sur les impératifs de sécurité : le risque zéro, c’est la mort.

Le MMR : Vous insistez sur la place des familles. Est-ce compatible avec l’organisation actuelle des établissements ?

J.G. : Posons la question dans le bon sens : que doivent faire les Ehpad pour que les familles y trouvent toute leur place ? Cela doit être un postulat de départ, une exigence principielle, pas un supplément d’âme. La question du droit de visite cristallise à juste titre cette question, il doit être quasiment inaliénable. De même, la participation effective des résidents et des familles commande de repenser en profondeur les Conseils de la Vie Sociale. L’aspiration sociétale à une démocratie participative ne pourra pas s’arrêter au seuil de l’Ehpad, surtout avec la génération des boomers qui arriveront demain.

Le MMR : Vos propositions sur l’organisation architecturale vont en intriguer plus d’un : augmentation des surfaces des chambres, dissociation de la partie « services et soins » et de la partie « habitation », personnalisation de l’aménagement…

J.G. : Il faut être ambitieux dans les objectifs et pragmatique dans leur mise en œuvre. Le cahier des charges de 1999, un simple arrêté ministériel, a permis, à bas bruit, en 20 ans de voir la superficie moyenne des chambres passer de 15 à 21 m2. Il faudra passer à 26 m2 et tendre vers les 30m2. C’est ainsi qu’on pourra faire un sort à ce lit placé au milieu de la chambre, rappelant en permanence la centralité du soin, mais jurant singulièrement avec une ambiance « comme à la maison ». Alors oui, il y aura un impact sur les besoins en personnel, le coût de construction et de rénovation, mais faisons les choses dans le bon ordre : définir les nouveaux besoins pour en assurer le financement plutôt que de continuer à financer comme avant un modèle devenu inadapté.

Le MMR : Enfin, le rapport est particulièrement volontariste sur le fameux Ehpad plate-forme…

J.G. : Il le faut bien ! Tout le monde en parle depuis des années, des expérimentations que nous analysons (Fondation Partage et Vie, la Croix Rouge, la Fondation Aulagnier, le groupe SOS…) se sont multipliées, notamment à partir de l’article 51, mais il est temps de changer de braquet. C’est pourquoi nous posons quelques principes directeurs (fin des appels à projets, tarification et autorisation globale…) et allons jusqu’à proposer la refonte de l’article L. 312-1-1 du Code de l’Action Sociale pour permettre l’Ehpad plateforme. Tous les Ehpad ne seront pas des plateformes mais chacun peut intégrer des missions nouvelles pour servir les fragiles du territoire. L’articulation avec les SAAD et acteurs du domicile est cruciale mais en sortant des postures, tout le monde y gagnera.

Le MMR : Et maintenant, que doit-il se passer ?

J.G. : Un Laboratoire des solutions de demain doit être bientôt mis en place par la CNSA. Notre contribution collective est sur leur table. Elle est riche des 105 auditions que nous avons conduites sous la responsabilité de Anna Kuhn-Lafont – dont je veux souligner le rôle majeur dans l’élaboration de ce document – et des 198 contributions reçues, de directeurs d’Ehpad, d’architectes, de designers… Ces enjeux sont communs à l’ensemble des acteurs du public, du privé solidaire et du privé commercial. C’est un front unique qui doit être mené, sans ignorer les spécificités de chacun. L’Ehpad est mort, vive le nouvel Ehpad !


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