
La parole à…
Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA
L’ancienne ministre, présidente de la CNSA, nous a habitué depuis 2017 à avoir une parole forte. Au moment où notre pays vit une crise sanitaire sans précédent qui interroge sur notre capacité à prendre en charge le grand âge, elle s’exprime pour le Mensuel des Maisons de Retraite. 54 minutes de dialogue via Zoom pour échanger sur son analyse de la crise, sur les enseignements à en tirer et les suites à lui donner.
Marie-Anne Montchamp : Mes premiers mots sont des mots d’intense compassion face à une crise qui non seulement génère de puissantes inégalités mais exacerbe les inégalités qui préexistaient. Elle touche une nation toute entière dans une Europe qui la vit de façon contrastée dans une situation d’ampleur planétaire. Et ça c’est inédit. Je me rappelle que certains avaient ironisé quand le président Chirac avait introduit le principe de précaution dans la Constitution.
Cette crise, elle est le fruit de la mondialisation. En cela, elle ressemble à la crise de 2008 qui, certes, n’était qu’une crise financière. Là, il s’agit d’une crise venue non pas de l’ouest mais de l’est et qui par le jeu de mondialisation, des communications, des voyages, des modes de production industrielle a eu des conséquences incroyables. Et comme je cite toujours les bons auteurs je me réfère à l’article que vient de publier Dominique Strauss-Kahn où il explique l’essence mondialisée de cette crise. Les certitudes d’hier sont clairement abolies.
M.A.M. : La crise révèle les fragilités antérieures. Le fait d’être fragile, en surpoids, d’avoir des pathologies chroniques ou de vivre dans une situation sociale de promiscuité : voilà autant de contrastes sociaux qui ont été exacerbés par la pandémie. Je regrette que ces derniers temps nous ayons fait d’autres choix : on a préféré faire une réforme des retraites là où nous aurions pu faire une réforme de l’âge.
Voilà des mois également que les personnels soignants nous alertaient sur les fragilités sociales à l’intérieur de l’hôpital. Nous avons peut-être oublié de voir qu’il en allait de même dans les Ehpad. En matière de politique de l’âge, nous avons terriblement manqué de doctrine. Dans le domaine du handicap, nous avons un corpus de principe fondé notamment sur celui de l’égalité des chances. Principe qui nous guide pour ensuite faire des choix. Ainsi, dans les établissements pour personnes handicapées, on a pu proposer à la famille si elle le souhaitait de ramener son proche dans la famille. Dans les Ehpad, la question ne s’est pas posée ainsi. Nous n’avons pas eu la même lecture éthique.
M.A.M. : Pourquoi n’a-t-on pas su lire l’avis du CCNE quand il a évoqué la question de la relégation des personnes âgées ? On ne va pas dire aujourd’hui qu’il faut fermer les établissements. Mais tous les acteurs ont prôné l’évolution du modèle et théorisé l’Ehpad « plate-forme ressources » permettant une réponse domiciliaire. Quand le Conseil de la CNSA a évoqué le virage domiciliaire, utilisant ce terme un peu bizarroïde mais que nous assumons clairement, nous avons identifié ce que les citoyens veulent. Les personnes âgées le disent elles-mêmes : nous sommes des citoyens debout et nous voulons vieillir chez nous.
Un Ehpad domiciliaire, c’est un Ehpad qui a adopté des comportements domiciliaires dans son fonctionnement interne. Ceux-là s’en sont-ils mieux sortis durant cette crise ? Nous le verrons bien. Mais dans les Ehpad où on a une culture domiciliaire plus nourrie, je pense que les résultats ont été bien meilleurs. La pertinence de cette notion domiciliaire, vertueuse, sort, à mon sens, renforcée de cette crise.
M.A.M. : Le sujet de défaut de la capacité de pilotage de la puissance publique n’est pas nouveau. J’ai lancé, avant la crise, une opération associant des parlementaires, des Conseils Départementaux, des acteurs de la proximité, pour définir le prototypage d’une gouvernance moderne qui serait fondée sur une approche agentielle.
Une ARS qui fonctionne bien, c’est une ARS qui ne se prend pas pour une déconcentration de la DGCS mais c’est une ARS qui se prend pour une Agence. C’est une ARS où le Directeur Général de l’ARS discute d’égal à égal avec le Préfet ou avec le Président du Conseil Départemental. C’est une ARS qui, quand elle anime une cellule de crise, n’a pas 70% d’informations descendantes pour 30% d’ascendantes mais l’inverse : 20% de doctrine pour 80% de remontées de terrain. C’est ça un fonctionnement agentiel.
Au moment où, dans cette crise, la DGCS a accepté de se nourrir des ARS qui se comportaient comme des Agences alors il y a eu une amélioration. Mais cette évolution, elle est récente. A l’avenir, je n’imagine pas une seule seconde qu’un acteur qui aura innové pendant la crise pourra se voir demain inviter à rentrer chez lui et reprendre le cours normal de sa vie.
M.A.M. : Pour ma part, je considère que le politique est fondamental dans ce type d’institution. Ces dernières semaines, le Conseil de la CNSA s’est réuni en cellule de crise et n’a cessé de questionner les pratiques administratives. Il est légitime à le faire et s’inscrit dans cette modernité d’une gouvernance résiliente qui sait ce qu’elle peut faire mais qui sait aussi ce qu’elle ne peut pas faire toute seule.
Moi je me réfère à la loi. Rien que la loi mais toute la loi. Il se trouve que je la connais un peu puisque c’est moi qui l’ai faite adoptée en 2004 ! La loi dispose que cette « Caisse-Agence » est dotée d’un Conseil destiné à réunir les parties prenantes et l’Etat pour conduire cette institution. La CNSA gère des crédits de l’assurance maladie mais elle a aussi des ressources propres octroyées par la loi qui lui donne le pouvoir d’affecter en propre des ressources aux politiques pour l’autonomie. La présidente, selon la lettre même de la loi, est là pour faire vivre le Conseil de la CNSA, pour piloter, orienter et apporter une contribution prospective. L’idée n’est donc pas de savoir si on se constitue en caisse de résonance ou de dissonance du pouvoir en place mais de trouver un point d’équilibre pour que les politiques soient acceptées.
Donc à chaque fois que cet équilibre a pu se déporter vers une interprétation plus administrative, l’institution s’est éloignée de l’esprit des textes qui la fonde. Je dépense donc une certaine énergie à animer les parties prenantes pour qu’elles disent ce qu’elles souhaitent et qu’elles puissent être entendues.
M.A.M. : La crise impose de transformer les règles habituelles du secteur. A court terme, il faut imaginer une capacité de financement en circuit court qui permette de soutenir très rapidement l’ensemble des établissements et services. C’est dans cet esprit que j’ai parlé du concept d’Helicopter money : cette technique permettant à une banque centrale de construire un pipeline directement de ses lignes budgétaires jusqu’à l’acteur économique. Aujourd’hui, il faut de l’helicopter money vers les SAAD et les Ehpad et mobiliser des ressources urgentes au-delà de la prime pour les personnels qui me semble indispensable. Je crois aussi à des cellules de pilotage infra-territoriales pour permettre de trouver des réponses appropriées au plus près des établissements.
Car tant que nous n’aurons pas trouvé le vaccin, nous serons dans une période où il va falloir conserver une distanciation sociale et trouver des modalités de déconfinement sur mesure. Qui ne soit pas privative de liberté tout en étant protectrice.
M.A.M. : La loi Grand âge devra être éminemment politique plutôt que la loi technique que nous redoutions tous un peu. Le conseil de la CSNA a exprimé sa volonté d’une loi avec un angle sociétal, éthique et politique. C’est un préalable absolu. Car si aujourd’hui on ne sait pas répondre aux questions d’organisation et de financement, c’est qu’on n’a pas tranché les questions politiques éthiques et sociétales.
Aujourd’hui nous savons que les français adresseront dans deux ans à la puissance publique des questions sur les risques chroniques mais aussi sur les risques environnementaux, climatiques et démographiques. Ces trois points d’entrée vont s’imposer à nous dans le débat public pour toute production législative. A titre personnel, j’aurais l’occasion de m’exprimer sur ces sujets dans un livre qui paraîtra avant l’été.
Propos reccueillis par
Luc Broussy
Dans notre précédente édition, un article intitulé « Les deux CNSA » évoquait, sans fard, les tensions qui se font jour depuis un moment entre la présidente de la CNSA d’une part et la direction générale de la CNSA ou le Gouvernement d’autre part. Un article qui n’a pas forcément plu à Marie-Anne Montchamp. Qui nous l’a fait savoir. Mais l’ancienne députée et ministre est une vraie politique : pas le genre à se laisser impressionnée par si peu. Et surtout la présidente de la CNSA est une femme de convictions. Ce qui l’intéresse avant tout ? Transmettre ses idées. Et quoi de mieux pour ce faire qu’une belle interview dans le MMR ?
Un dialogue de 55 minutes dont nous ne rendons compte malheureusement qu’en partie. Dialogue durant lequel cette « intellectuelle du social » nous aura parlé de notion « domiciliaire », de « granularité », de DSK et même du concept d’Helicopter Money inventé par Milton Friedman, lequel ne se doutait pas qu’un jour il figurerait dans le Mensuel des Maisons de Retraite… C’est fait : et çà c’est grâce à Marie-Anne Montchamp !
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