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7 février 2022

Kiné en Ehpad : électron libre(éral) ?

Vieille profession née après la seconde guerre mondiale, le kinésithérapeute fut le premier rééducateur à entrer dans les maisons de retraite. Pour autant, nombreux sont ceux en Ehpad qui ne comprennent pas tout à fait la mission et l’étendue du champ d’action de ce professionnel, souvent perçu comme un électron libre.

Au sein de certains Ehpad circule une légende selon laquelle le kiné est avant tout le spécialiste de la « marchothérapie ». Une légende qui s’écroule évidemment dès qu’on s’intéresse un peu à ce métier et à sa mission. Preuve en sont les chiffres communiqués par la Fédération Française des Masseurs Kinésithérapeutes Rééducateurs (FFMKR) sur les actes réalisés en Ehpad : près de la moitié sont certes liés aux troubles de l’équilibre et à la marche mais 15% sont relatifs à la rééducation spécifique neuro (post AVC ou parkinson) ; 10% à la prévention des déformations articulaires ; 10% pour la diminution des douleurs et le reste à l’accompagnement global (notamment dans le cadre de soins palliatifs) ou la rééducation spécifique après chirurgie.

Utiliser le kiné à sa juste valeur

CQFD : la mission du kinésithérapeute en Ehpad ne se limite donc pas à la déambulation. Mais pour le président du Syndicat National des Masseurs Kinésithérapeutes Rééducateurs (SNMKR), Guillaume RALL, cette méconnaissance du métier est assez généralisée et se traduit jusque dans la valorisation des actes par l’assurance maladie : « Dans notre nomenclature, on a un acte intitulé « déambulation du sujet âgé », ce qui laisse entendre que cette prise en charge peut se résumer à la stricte déambulation. Pour nous, c’est un véritable manque de considération de la profession. Le kiné est un acteur du grand âge, il doit accompagner la personne dès le départ, il est en mesure d’évaluer ses capacités pour mettre en place l’accompagnement adéquat ». Et cela passe nécessairement par la mise en place d’une évaluation systématique par les thérapeutes de l’Ehpad – dont les kinés – à l’entrée en établissement. Une proposition que l’on retrouve dans le rapport Guérin – Jeandel relatif à la médicalisation des Ehpad et qui est soutenue par les deux principaux syndicats de la profession.

Mais au-delà de son travail avec les résidents, le kinésithérapeute a un rôle important à jouer auprès des professionnels, pour les former à la prévention des chutes et plus largement à la sollicitation des capacités motrice des résidents afin d’autonomiser ces derniers et de réduire au maximum les risques de TMS. Pour Sébastien Guérard, président de la FFMKR « ce rôle n’est pas suffisamment exploité : on a tellement de TMS en Ehpad alors que le kiné est spécialiste de ça, c’est insensé ! ». Bref, le kinésithérapeute est un acteur clé sur le secteur du grand âge en général et en Ehpad en particulier mais rares sont ceux qui se servent à bon escient de cette ressource.

Le kiné et le reste du monde ?

Présents dans les Ehpad depuis toujours, les kinésithérapeutes ne sont par ailleurs plus les seuls thérapeutes à bord depuis quelques années, avec l’arrivée massive de psychomotriciens et ergothérapeutes. Plus présents sur l’accompagnement des troubles cognitifs que les kinés et plus volontiers salariés, les seconds sont ainsi parfois venus remplacer les premiers.

Or, comme le souligne Julien Grouès, kinésithérapeute libéral intervenant en Ehpad, « ces professions sont complémentaires mais ne font pas la même chose. Ils peuvent poursuivre un objectif commun mais pas avec les mêmes techniques, outils ou approches ». Et si personne ne remet en cause l’utilité de chacun auprès des résidents, Sébastien Guérard met quand même en garde « Il faut éviter autant que possible les zones de glissement. Quand on fait faire des soins de rééducation par des APA par exemple, ça s’appelle de l’exercice illégal. ».

Mais pour éviter le glissement, encore faut-il bien comprendre qui fait quoi. Et c’est là toute la difficulté. « Contrairement à l’infirmier qui a toujours travaillé sous la coupe du médecin qui connait bien ses missions, le kiné, lui est un électron libre », rapport Sébastien Guérard. D’un côté, les soignants se plaignent de ne pas savoir quand le kiné passera, ce qu’il fera ou de ce qu’il a fait. De l’autre, le kiné libéral peut parfois se sentir dénigré ou mis à l’écart : il n’arrive jamais au bon moment, il dérange en s’installant au milieu des espaces collectifs quand il n’y a pas de salle de soins, etc, etc. La légitimité du kiné n’est donc pas évidente partout, mais la crise sanitaire semble avoir un peu remis les pendules à l’heure.

Crise de légitimité et crise sanitaire

S’il est complexe de mesurer l’impact de la rééducation, il est facile de mesurer l’impact de l’arrêt de celle-ci. Ce fut d’ailleurs chose faite pendant le premier confinement par la FFMKR, qui a réalisé une enquête auprès de 4 500 kinés libéraux, et les résultats sont édifiants. Parmi les 254 répondants, 70% se sont vus interdire l’accès à l’Ehpad pendant le premier confinement. Ainsi, 85% des patients en Ehpad ont subi un arrêt des soins de kiné pdt au moins 3 semaines et 50% pendant au moins 1 mois.

Une fois de retour auprès de leurs patients, ces kinés ont constaté que le périmètre de marche moyen des résidents avait fondu de près de 75% (il était de 117 mètres avant le confinement et est passé à 32 m). Ils ont également observé que le nombre de patients ayant désormais besoin d’une aide pour marcher avait doublé ; que 25% des patients qui marchaient rarement seul ne marchaient plus ; que le nombre de patients capables de se lever seuls d’une chaise avait diminué de 60%. Et que durant le confinement, au moins 30% des patients avaient chuté au moins 1 fois.

Autant de chiffres qui soulignent combien le kiné est irremplaçable et qui, selon la FFMKR, légitimerait la mise en place de « kinésithérapeutes coordonnateurs » au sein des Ehpad, qui seraient présents quelques heures par semaine pour évaluer et coordonner les besoins en rééducation des résidents, afin de maintenir leur autonomie et pour prévenir les TMS des soignants.

Ehpad cherche kiné salarié

Chaque année en France, 2 800 diplômés sortent de l’école de kinésithérapeutes, auxquels s’ajoutent les 2 000 à 2 500 personnes formés dans les pays voisins. Ces 5000 nouveaux kinés qui arrivent tous les ans sur le marché démarrent généralement leur carrière comme remplaçant puis s’installent en cabinet. Se dirigent-ils vers les vieux ? « Ce n’est pas le premier choix des jeunes diplômés », confie Julien Grouès, diplômé depuis 2014 et dont l’activité est orientée à 80% vers la gériatrie. « Ce n’était pas ma vocation première. Comme beaucoup de kinés, je voulais d’abord me diriger vers le monde du sport… puis j’ai fait un stage chez un kiné qui intervenait à domicile, j’ai bien aimé le projet de maintien à domicile. Et j’avais eu un très bon enseignant en gériatrie pendant mes études. La gériatrie a donc été une opportunité et une réalité pour moi ».

Par ailleurs, si la parité homme / femme est plutôt respectée sur le métier, on ne peut pas en dire autant sur la répartition salarié – libéral qui est plus proche de 20-80. Pour Julien Grouès, qui a testé les 2 statuts en Ehpad, « il n’y a pas de situation idéale. Quand vous êtes salarié, le problème, c’est que c’est très rarement à temps plein. Et quand vous êtes en libéral, le problème est l’organisation des temps d’échange. Que vous soyez salarié ou libéral, il vous faut du temps pour le soin mais aussi pour les transmissions et pour les échanges informels avec les collègues. La convention que les libéraux signent prévoit ces temps, notamment les réunions biannuelles pour travailler sur les projets, mais il faut vraiment le prendre ce temps ».

Le président de la FFMKR, Sébastien Guerard, comprend bien la logique des directeurs et l’enjeu autour de la continuité des soins : « Quand vous avez à faire à un intervenant libéral, vous ne maitrisez pas ses heures de passage, la traçabilité. Et quand vous avez 100 personnes à manager, ça vous embête ». Mais, à l’inverse, le président du SNMKR, Guillaume Rall, souligne que « le directeur ne cherche pas nécessairement du salariat car le libéral a aussi ses avantages, il offre notamment plus de flexibilité ». Par ailleurs, impliquer un professionnel extérieur à l’établissement, qui porte un regard et une approche différents sur les résidents et les prises en charge, qui est loin des tensions qui peuvent exister dans une équipe, peut avoir ses avantages. Enfin, autre point en faveur du libéral : le libre choix du résident, plus essentiel que jamais dans l’Ehpad de demain pour faire primer la personne sur l’institution.

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